Lucky Luke : un film ambitieux

Les BD sur grands écrans 1/4

 

En 2009, le film Lucky Luke réalisé par James Huth et avec Jean Dujardin dans le rôle-titre sort au cinéma. Retour sur un projet ambitieux dans la vague d’adaptations de bandes-dessinées franco-belge au cinéma.


Lucky-Luke du papier au cinéma

Qui ne connaît pas Lucky Luke ? Le cow-boy solitaire qui tire plus vite que son ombre, créé par Morris en 1946, connaît un grand succès au point de devenir l’un des personnages de bandes dessinées franco-belges les plus célèbres de l’histoire. L’univers développé par Morris au fil des albums se veut à la fois un hommage et une parodie des œuvres de western, notamment des nombreux films américains sur cette thématique. Les albums sont truffés de références à l’Histoire, à la pop culture ou à l’actualité de leur époque.  La bande dessinée séduit à la fois les plus jeunes par les histoires et l’univers « western » haut en couleur et à la fois les adultes par l’intelligence des histoires et des gags.  

 

Face à ce succès, plusieurs adaptations ont vu le jour sur grand écran. La première n’a presque de Lucky Luke que le nom. En 1991, Terence Hill, vedette du western comique italien, réalise un film américano-italien intitulé Lucky Luke. Ce dernier est représenté avec un long cache-poussière blanc et un chapeau à bords plats et sans sa coupe de cheveux caractéristique. Le long métrage reprend l’histoire l’album Daisy Town. Le film ressemble plus à un film de western qui aurait repris une intrigue d’un album de Lucky Luke qu’à une véritable adaptation de la bande dessinée belge.

 

En 2004, Éric et Ramzy jouent Joe et Averell Dalton dans une adaptation française des célèbres ennemis de Lucky Luke : les Dalton.  Une quasi deuxième adaptation de la BD puisqu’ici Lucky Luke joue un rôle secondaire dans le film. Ce dernier reçoit un accueil critique négatif. L’histoire cartoonnesque et peu cohérente, l’humour peu inspiré ainsi que les costumes flashies et les décors façon « carton-pâte » sont les quatre reproches récurrents pointés par les critiques.

 

En 2009, le réalisateur entre autres des Brice de Nice et de Rendez-vous chez Malawas, James Huth, avec un budget de 27 millions d’euros, réalise une troisième adaptation de la BD de Morris avec Jean Dujardin dans le rôle-titre. Voici un court résumé de l’histoire : Délégué par le président américain Winston H. Jameson pour sécuriser Daisy Town afin de pouvoir faire la jonction du chemin de fer est-ouest, Lucky Luke retourne dans sa ville natale désormais dominée par l'escroc Pat Poker. Hanté par de vieux démons, il voit ses ambitions d'y faire le ménage bientôt contrarié par l'arrivée de vieux ennemis…  Décryptons maintenant ce long-métrage en se concentrant sur certains points essentiels.

Les décors et les costumes

Commençons par un point central dans une adaptation de BD :  les décors et les costumes. Ici, c’est un sans-faute. Huth nous propose des décors somptueux dignes des plus grandes productions américaines. Ils sont inventifs, réalistes tout en collant à l’esprit de la BD. Premier exemple : le « repaire » de Pat Poker. C’est une sorte de casino géant. Il a aspect réaliste, il paraît poussiéreux et usé (il se situe en plein désert) et à la fois l’aspect cartoon avec les multiples graphismes colorés faisant référence au monde du casino. Également, la ville de Daisy Town est poussiéreuse, mais aussi riche en détails. Un autre exemple vient des choix pris dans les scènes tournées en déserts. L’aspect Western américain se dégage de tous les plans incluant le désert. Le costume de Lucky Luke ressort de ses grandes étendues.


Les costumes sont d’ailleurs eux aussi réussi en particulier celui de Lucky Luke. La tâche n’est pas facile car le cowboy possède un attirail très coloré dans la BD. Là où le film Les Dalton échoue dans son costume fait de couleurs très vives digne d’un mauvais costume de carnaval. Le Lucky Luke version 2009 propose un costume à la fois fidèle à la BD par les différentes couleurs utilisées et à la fois crédibles car ces dernières sont délavées et peu vives. On reconnaît directement Lucky Luke sans l’effet « costume de carnaval ». On note aussi le travail effectué sur le revolver (qui possède un trèfle à quatre feuilles faisant référence à la chance et donc à Lucky Luke) et la ceinture, la coupe de cheveux, le chapeau ou le choix des chaussures. Le tout donne un résultat final sublime.

Le scénario

Quand on adapte une BD au cinéma, écrire un scénario semble facile. En effet, l’auteur ou les auteurs a ou ont écrit de nombreuses histoires de A à Z dans divers albums. Mais, il ne suffit pas de simplement piocher une histoire d’un album pour faire un bon scénario au cinéma tant les deux médiums sont différents. Ici, James Huth, Jean Dujardin et Sonja Shillito proposent une histoire originale qui s’inspire de divers albums. Le film s’interroge sur les origines du héros mais aussi sur ses valeurs et ses sentiments. Ces différents éléments sont peu abordés dans la BD. Pourquoi Lucky Luke s’appelle-t-il ainsi ? Pourquoi ne tue-t-il jamais ? Est-ce que ce héros peu se remettre en question ? A-t-il des sentiments amoureux ? Telles sont certaines des questions dont le film apporte des réponses. Les scénaristes apportent leur vision, leur interprétation du personnage. Lucky Luke est traité avec sérieux. La psychologie du cow-boy est interrogée. Certains moments dramatiques sont habilement joués par les différents acteurs. L’une des scènes les plus marquantes du film est la scène d’ouverture qui met en scène (attention spoiler) la mort des parents de Lucky Luke et voit le petit Luke échappé de justesse à la mort d’où son surnom « Lucky Luke ». Elle surprend car le film nous est vendu comme une comédie-action grand public dans les bandes d’annonces ou les affiches. Le rival de Lucky Luke dans ce film, Pat Poker, joué par Daniel Prévot, est intéressant. Il utilise plus l’arme psychologique que physique et son univers fait référence à la chance.
  

Outre ce parti pris, l’histoire reste fidèle à la bande dessinée en présentant des personnages et des éléments iconiques de l’œuvre de Morris comme la fameuse brindille d’herbe (qui remplace la cigarette en 1983), le cheval Jolly Jumper qui parle (assez bien amené car elle exprime la solitude de Lucky Luke)  , Daisy Town, Calamity Jane, Jesse James…. On note cependant l’absence des Dalton et de Rantanplan.

 

Par ailleurs, le gros défaut du scénario est l’humour. Il entrecoupe les moments plus sérieux et manque souvent d’inspiration. Ces moments plus légers gâchent souvent le rythme de l’histoire. Ce seul élément baisse la qualité d’un film rudement bien mené sur de nombreux points. On note aussi quelques facilitées scénaristiques.

La mise en scène

James Huth est un réalisateur qui possède un style propre, une identité visuelle immédiatement reconnaissable et ce film n’échappe à cela. De nombreux plans jouent sur la lumière, la vitesse ou la position de la caméra pour donner vie à des cases de BD. Il termine même son générique par une représentation de la quatrième de couverture iconique. D’ailleurs, « l’effet tire plus vite que son ombre » (difficile à mettre en scène sur grand écran) est ici assez simple mais efficace.


Outre la mise en scène de moments iconiques de la BD, le réalisateur français s’inspire aussi du genre western pour de nombreux plans. Il y reprend les codes de ce genre (le duel, la scène au saloon, la traversée du désert en cheval…) mais en y ajoutant un léger style cartoonesque pour coller à l’esprit de la BD belge. En revanche, certaines scènes d’actions sont parfois illisibles.

Conclusion

Ce long-métrage est ambitieux par son histoire, ses décors ou le traitement du cowboy solitaire mais possède certains défauts qui sabotent un projet qui voulait rendre un univers haut en couleur crédible sur grands-écrans. Il faut saluer le travail d’adaptation de l’équipe du film, l’un des mieux abouti dans la vague des adaptations de BD franco-belge au cinéma. Mais il faut aussi reconnaître certains défauts. Le tir plus vite que son ombre est presque parfait. Si vous voulez vous faire votre propre avis, à l’heure où j’écris ces lignes, le film est disponible sur Netflix.


Prochain épisode : Astérix : L’irréductible du cinéma français.

Photos : images du film - UGC

Texte : Tom